Vers 1992, lorsque j´étais au lycée, teintée sous le patronnage du style très naif, j´ai commencé à suivre avec acharnement les travaux filmiques - mise en corps d´une interrogation / réflexion / dénonciation / protestation - mettant en évidence les mécanismes qui mènent à « l´Ambassade Cinématographique ». Indépendamment du circuit commercial, le cinéma francophone est suffisament connu pour qu´il soit inutile d´y revenir très longuement. J´ai donc commencé par organiser les rapports possibles - théoriques et techniques - au sein d´une quelconque trame fictionnelle: Je me souviens, à l´époque très jeune (12/13 ans), la drôlerie éculée, plutôt acide, et les vaudevilles stéréotypés de la thèse - authenticité - à laquelle Chabrol est demeuré fidèle, m´ont bâti mes premiers maux de tête. En effet, en rôdant une philosophie nietschéenne à partir d´un personnage foncièrement «lyrique» de Coppola, la jubilation que procure la fiction chabrolienne permet à l´auteur de piéger son public. D'après moi, aujourd´hui, entre le balancement dialectique hitchcockien et scorsesien, s´étant amusé des aventures que les personnages vivent à leurs dépens, le spectateur est obligé d´affronter le problème moral qui découle de ces tribulations souvent meurtrières. Sa mise à l´épreuve est d´autant plus âpre que Chabrol ne facilite pas la tâche. L´auteur ne condamne pas l´attitude de ses protagonistes, au demeurant contestable, ce qui viendrait à répondre (à la place du spectateur) au questions que posent ses films. Chabrol n´était pas un moralisateur mais un moraliste (...). Il me semble que la différence essentielle est que la mise en scène de cet auteur joue avant tout sur des valeurs psychologiques et morales, longtemps contestées pour son « mauvais goût », beaucoup plus que sur une mécanique hollywoodienne proprement dite.
J´ai pleinement puisé mon inébranlable enthousiasme enfantin dans de la macédoine filmographique: Hitchcock, Welles, Scorsese, Cassavetes, Truffaut, Polanski, Coppola, Capra, Aldrich, Wilder, Renoir.. entre autres, sans oublier, bien sûr, la perfection chabrolienne.
Je suis donc tentée de faire le point, ici, en particulier pour les jeunes lecteurs, tout en apportant quelques informations inédites:
Fils de pharmacien, Claude Chabrol est né à Paris le 24 juin 1930. Pendant la guerre, il passe son enfance à Sardent, un village de la Creuse. Lá, il loue un appareil de projection. Un garage sert de local: « Le Cinéma Sardentais » est né. La paix et les études ramènent Chabrol à Paris. Après un bac C (obtenu à l´arraché), il fait des études de lettres et de droit, avant d´entrer en faculté de pharmacie, suivant ainsi le modèle paternel. Claude accomplit ses obligations militaires dans un service de santé. Libéré, il met terme à cette voie « sérieuse » de futur pharmacien, préférant fréquenter assidument les alentours des ciné-clubs, particulièrement ceux du Quartier Latin. C´est ici que ses rencontres sont déterminantes. Paul Gégauff (qui sera sont scénariste pour beaucoup de ses films) est l´une d´elles. Entouré de ses amis de la « Nouvelle Vague », le jeune homme entre aux Cahiers du cinéma (crée depuis peu) en novembre 1953, où il signe un premier article sur Chantons sous la pluie (G. Kelly, S. Donen), intitulé « Que ma joie demeure ». Chabrol rédigera également des critiques de films d´Hitchcock (qui à l´époque n´est pas encore reconnu comme un cinéaste de premier plan), Aldrich, Hawks, Mankiewicz, Walsh.. parmi beaucoup d´autres. Notre futur cinéaste crée assez tôt sa propre société de production en 1956, AJYM-Films (AJYM sont les initiales de sa première femme et de ses enfants) pour produir les courts métrages des amis, comme le Coup du Berger, de Jacque Rivette, et dont le « producteur » à écrit le scénario. Vient ensuite le Beau Serge (rebaptisé Vinho Dificil au Portugal). Sous l´acceuil chaleureux de la critique (révélatrice), succès du public, ce film est primé à Locarno en 1958. Bellamy (2009) fut le dernier film du realizateur.
Le 12 septembre de 2010, à Paris, l´illustre étincelle chabrolienne s´éteint. C´est-à-dire elle nous quitte.. elle me quitte. C´est dorénavant l´Histoire qui va rendre son verdict sur la place que l´homme occupera dans l´avenir. Je ne sais pas si c´est bien nécessaire de définir la dualité de l´homme: de monssieur Claude il ne restera forcément rien, du cinéaste Chabrol, désormais sous un jaillissement perpétuel parmi la mytomanie cinématographique protestataire, survivra assurément l´un des cinéastes - légendaires- français les plus dévoreurs de pellicule.